Les années d’apprentissage

L’intérêt d’Anne Hébert pour l’écriture se manifeste dès le début de l’adolescence. « Les premières choses que j’ai écrites, ce sont des pièces de théâtre ». C’est sa mère, passionnée de théâtre depuis sa jeunesse, qui l’intéresse au genre. Quelques contes et pièces de théâtre non publiés,  » ni publiables  » datent de cette époque. Quant à la poésie, elle viendra plus tard. « Je l’ai trouvée sans m’en rendre compte ». Ses impressions notées au passage et inspirées surtout par la campagne ne lui avaient jamais semblé être des poèmes « puisqu’ils ne rimaient pas ». Le peu de poésie qu’elle avait lue dans les revues féminines de l’époque lui semblait d’ailleurs « ridicule et superficielle ». Mais l’enthousiasme de son père pour ces « notations d’impressions » l’aide à se convaincre de son talent de poète. En 1942, elle publie un premier recueil de poèmes, Les Songes en équilibre, bien accueilli par la critique, et qui lui vaut le troisième prix au concours du Prix Athanase- David 1943.

La production des premières années révèle une activité soutenue dans l’élaboration du schème organisateur de l’oeuvre. Si bien qu’au printemps 1945, à l’âge de 28 ans, Anne Hébert a déjà pourvu son oeuvre de son axe principal.. L’écriture n’aura plus qu’à développer et enrichir son registre à travers les oeuvres subséquentes. Anne Hébert refuse ainsi avec raison d’être classée parmi les écrivains qui ont écrit sur le tard. « Non, je n’ai pas commencé tard à écrire. J’ai toujours écrit ». Affirmation que confirme la chronologie de l’oeuvre.

Le Torrent, publié en 1950, sera la deuxième oeuvre à paraître. Elle comprend cinq nouvelles, dont « le Torrent », « l’Ange de Dominique« , « la Robe corail », « le Printemps de Catherine » et « la Maison de l’esplanade ». L’intervalle de cinq ans entre la fin de la rédaction et l’année de la publication s’explique par le refus des éditeurs de publier ce recueil.. Anne Hébert devra le faire publier elle-même à compte d’auteur aux Editions du Bien public de Trois Rivières avec l’argent du prix décerné pour les Songes en équilibre. « [Ils] avaient refusé Le Torrent disant que c’était trop violent, que le Canada français était une nation jeune et saine et que c’était des choses malsaines à ne pas mettre entre toutes les mains ».

En juillet 1952, la série Le Théâtre du grand prix de Radio-Canada présente son « poème dramatique et radiophonique » Les Invités au procès. En 1953, paraît son oeuvre maîtresse, Le Tombeau des rois deuxième recueil de poèmes sur lequel elle travaillait depuis dix ans. C’est grâce au prêt d’un ami, l’écrivain Roger Lemelin, qu’elle le fait publier à compte d’auteur aux Editions de l’Institut littéraire, faute d’avoir pu intéresser les éditeurs. A la recherche d’un gagne-pain vers le début des années cinquante, elle tente de se faire engager comme dactylo, mais sans succès: les demandes d’emploi lui reviennent toutes avec la mention « instruction insuffisante ». Ce qui ne l’empêche pas de rédiger trente textes radiophoniques pour Radio-Canada de 1950 à 1952 dans le cadre des émissions « Trois de Québec » et « A travers le temps ». A l’été 1951, elle présente sa pièce l’Arche de midi au Concours littéraire et scientifique de la province de Québec et gagne le deuxième prix dans la catégorie théâtre. Elle est finalement engagée par L’Office national du film comme scripteure à Ottawa en janvier 1953, pour y travailler ensuite comme scénariste, cette fois à Montréal jusqu’en août 1954. Elle aura ainsi été la première femme francophone scénariste de l’ONF. « On m’a tout de suite traitée comme un écrivain. Ce qui fait que je n’ai malheureusement pas appris les rudiments techniques du métier ». Son expérience lui sera néanmoins profitable, au dire de l’auteure, puisqu’elle lui servira ultérieurement pour la composition de son premier roman Les Chambres de bois dont elle entreprendra la rédaction un an plus tard, mais surtout pour sa pièce policière, la Mercière assassinée, présentée en quatre épisodes à la télévision de Radio-Canada en juillet 1958.

La venue au Québec du critique Albert Béguin et du poète Pierre Emmanuel, interessés tous deux par l’oeuvre d’Alain Grandbois, lui offre une occasion de se présenter à la critique française. Dès leur retour en France, ils font connaître les poèmes d’Anne Hébert au Seuil, maison d’édition alors de taille moyenne, et Albert Béguin en publie quelques-uns dans la revue Esprit. C’est au cours d’un voyage à Paris qu’elle se fait offrir par Paul Flamand du Seuil la publication sans condition du prochain manuscrit. L’obtention d’une bourse de la Société royale du Canada en mai 1954 lui permet alors de séjourner à Paris pour y écrire son premier roman. Son congé de l’Office national du Film n’étant que d’un an, elle décide néanmoins de prolonger son séjour de deux autres années. Revenue à Montréal en 1957, elle y demeure deux ans. A partir de 1960, année de la mort de son père, elle habitera tour à tour en France et au Québec. Une bourse spéciale du Conseil des arts lui sert de soutien financier pour la période 1961-1962. A la mort de sa mère en 1965, Anne Hébert se fixe définitivement à Paris.


Sources bibliographiques

Pierre Pagé, Anne Hébert, Montréal, Fidès, coll. Ecrivains canadiens d’aujourd’hui, 1965.

René Lacôte, Anne Hébert, Paris, Editions Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui no 189, 1969.

Antoine Prévost, De Saint-Denys Garneau, l’enfant piégé, Montréal, Boréal, 1994.

Dossier de presse : Anne Hébert (1942-1989), Séminaire de Sherbrooke, 1989.

Tous droits réservés © 1998 Robert Harvey

Nous accordons le droit d'utiliser les documents de ce site seulement à des fins pédagogiques non-commerciales.
Toute reproduction d'un document devra porter la mention du nom de l'auteur et de l'adresse du site.