La Mercière assassinée

Tout le mystère de cette intrigue policière repose sur l’apparente gratuité du crime commis. Adélaide Menthe, mercière d’un petit village français, a été retrouvée morte, un couteau planté entre les omoplates. Une enquête de routine aurait vite expédié l’affaire, si ce n’était de la perspicacité d’un jeune journaliste canadien en voyage de tourisme. Les témoignages qu’il recueille à propos de la victime l’amène bientôt à reconstituer la trame des événements depuis le plus lointain passé.

Adélaide Menthe a alors quinze ans. Intelligente et fière, elle est bien décidée à réussir sa vie malgré ses parents chiffonniers, sales, bêtes et méchants. Ils emploient leur fille au service des Beau-Bassin pour l’entretien du château. Le monde est en ordre: « Je suis devenue toute noire », dira Adélaide, « à mesure que les plats et les couverts de madame la Marquise se sont mis à briller ». Puis l’événement se produit d’une manière tout à fait inattendue. Olivier, le fils des Beau-Bassin, doit bientôt rentrer de Paris après une absence de plusieurs années passées aux études. Sa soeur Véronique et trois de ses amies ont voulu savoir s’il saurait toutes les reconnaître sous un déguisement d’apparat, « comme pour un bal ». Adélaide est priée de se prêter à ce divertissement, histoire de compliquer le jeu. Mais voilà que Cendrillon l’emporte dans le coeur du jeune homme au détriment de ces quatre aristocrates stupidement disqualifiées par un jeu de hasard. Dans un moment de grâce où tout paraît possible, Olivier est fasciné par l’innocence, l’inquiétude, la fragilité d’Adélaide, comme devant sa propre enfance retrouvée. Bientôt pourtant, l’ordre ancien reprend ses droits, et l’intruse, la vraie perdante, est dénonçée, ses « mains brûlées par la vie » sous les gants de velours.

Le drame à venir sera le microcosme d’un bouleversement à une plus grande échelle. L’époque est celle de 1914, peu de temps avant la guerre. Olivier se décrit d’ailleurs comme le metteur en scène d’un théâtre du désenchantement. Sa violence d’impuissant se retourne alors contre Adélaide, et une « envie irrésistible » lui prend de « voir ce visage d’enfant s’achever sous ses yeux, perdre toute douceur, toute innocence, se sécher comme du sable », à l’image de la stérilité des dévastations à venir. Dans son oeil, une « horrible joie » va naître à l’idée de « lâcher une bête malfaisante » au milieu de tous pour son plus grand désennui, et surtout d’en être le créateur. Suivront plus tard les meurtres en série, commis par Adélaide, des quatre jeunes filles(maintenant adultes), témoins pervers de son humiliation d’autrefois. Puis finalement, celui d’Adélaide par Olivier, clé de voûte de toute l’affaire.

* Pour une étude plus détaillée, voir notre introduction à la pièce Le Temps sauvage, Bibliothèque québécoise(BQ), p.19-23.

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