Le Temps sauvage

L’action dramatique prend son origine dans l’attitude hautaine et défiante d’Agnès Joncas, une mère de cinq enfants, installée depuis longtemps dans la montagne, en retrait du village voisin. C’est de là-haut, avec son mari François, qu’elle entend prendre sa revanche sur le sort que lui a réservé la vie. Pour Agnès, le visage du malheur s’est manifesté un jour de façon déconcertante sous les traits innocents de sa jeune soeur Nathalie dont elle avait la charge depuis la mort des parents, et qu’elle choyait pourtant comme sa « fille première-née ». La « belle Nathalie » lui volera son amant, la laissant seule avec sa peine. Marquée d’un signe par son physique ingrat, elle se reconnaîtra alors dans l’infortune d’un jeune boiteux, François Joncas, qui l’avait toujours suivie partout « comme un chien perdu que l’on chasse et qui s’obstine ». Ils s’épouseront et iront vivre en marge de la société.

En révolte contre Dieu, l’Eglise et toute sa ratiocination pour justifier a posteriori l’injustice du monde, Agnès entend bien soustraire ses enfants à sa condition de « forçat innocent » avec son lot de peines, de soumission et de culpabilité. Forte de son autorité sur des vies qu’elle dispute à Dieu – puisqu’elle croit encore au Christ – , Agnès Joncas s’obstine et s’enivre dans son refus de la grâce en « accumulant les péchés sur sa tête et sur celle de ses enfants ». D’où l’image de démon qui lui est attribuée à deux reprises au cours de la pièce.

L’instauration d’une « espèce de temps sauvage[…], longue saison hors du temps et de la conscience » sera son défi souverain. Là-haut dans la montagne, plus de questions, ni de réponses, ou de responsabilités pour ses enfants qu’elle s’est juré de garder « dans une longue enfance sauvage et pure ». Inconsciemment, Agnès recrée ainsi le modèle autoritaire de l’Eglise qui l’avait tant marquée. A son tour, elle s’autorise d’utiliser l’arbitraire pour assurer le « salut » de ses enfants.

Par contre, pour deux de ses enfants, Lucie et Sébastien, il importe au plus tôt de renouer les liens avec le monde. L’arrivée d’Isabelle, la fille de Nathalie, dans le milieu fermé de cette famille, amènera finalement un revirement de situation. « Elle se croit forte », dira Lucie à propos d’Agnès, « parce que ma tante Nathalie est morte: et si la mort ne vengeait pas les vivants? Et si c’était le contraire »? Agnès sera finalement confrontée à la trahison de son fils, Sébastien, qui l’abandonne pour aller vivre en ville avec Isabelle, comme à la répétition symbolique de l’injustice originelle.

* Pour une étude plus détaillée, voir notre introduction à la pièce Le Temps sauvage, dans Bibliothèque québécoise(BQ),p.7-18.

Tous droits réservés © 1998 Robert Harvey

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